Comme à la fac - #7 Compter les morts

Dans ce 7e épisode de "Comme à la fac" la question des difficultés liées au rencensement du nombre de décès depuis le début de l'épidemie est abordée. Quelle méthode est appliquée ? Tous les décès sont-ils une conséquence directe du Covid-19 ?COMME À LA FAC - Comprendre la crise coronavirus est animée par Maël Lemoine, professeur à l'Université de Bordeaux et chercheur dans une unité CNRS d'immunologie, ImmunoConcept. Son but est de prendre du recul sur les événements Covid-19 en vous livrant un éclairage court et posé de niveau universitaire.

Ci-dessous une vidéo de trois minutes immédiatement  suivie d'un article

Accéder à la playlist de tous les épisodes : Comme à la fac : comprendre la crise covid-19
Voir l'épisode #1 sur 
le scénario d'atténuation
Voir l'épisode #2 sur le scénario d'endiguement
Voir l'épisode #3 sur les traitements à l'étude
Voir l'épisode #4 sur le nombre de cas non-détectés
Voir l'épisode #5 sur les tests diagnostiques
Voir l'épisode #6 sur l'utilité des masques

 

#7 Compter les morts

Combien de personnes l’épidémie de Covid-19 emportera-t-elle ? La réponse semble simple : c’est l’addition des décès quotidiennement annoncés par Jérôme Salomon, le directeur de la santé. Pourtant, cette question élémentaire cache des difficultés redoutables.

Par Maël Lemoine

MaelLemoine

Une première difficulté tient aux imperfections des tests : faux positifs d’un côté, faux négatifs de l’autre, gonflent ou dégonflent artificiellement le total. J’en ai parlé dans la quatrième vidéo de la série.

Une deuxième difficulté, liée, tient à la différence entre le taux de létalité, le taux de létalité d’infection, et le taux de mortalité. Sur une période donnée, le taux de létalité est la proportion des décès par rapport au nombre total de personnes diagnostiquées avec cette maladie (Figure 1), le taux de létalité d’infection est la proportion des décès par rapport au nombre de total de personnes infectées par le virus, qui peuvent être parfaitement asymptomatiques (Figure 2), le taux de mortalité est la proportion de décès par rapport à la population totale (Figure 3).

figure 1 comme a la fac 7 compter morts

Fig. 1

figure 2 comme a la fac 7 compter morts

Fig. 2

figure 3 comme a la fac 7 compter morts

Fig.3

Comme le montre simplement cette figure, si l’on suppose que l’on connaît le numérateur grâce aux tests, c’est plus difficile de connaître le dénominateur, sauf dans le cas du taux de mortalité (puisque c’est la population totale). Si l’on teste beaucoup de patients, on se rapproche du taux de létalité d’infection. Plus on en teste, plus on réduit le taux de létalité. Ainsi s’expliquerait, en partie, le fait que l’Allemagne annonce un taux de létalité très nettement inférieur à celui annoncé par ses voisins européens.

Une troisième difficulté tient à l’évolution des chiffres dans le temps. Si l’on rapporte le nombre de morts à ce jour au nombre de cas confirmés à ce jour, on ne tient pas compte de tous les patients qui décèderont.

Mais la quatrième difficulté est sans doute la plus redoutable. Elle est liée au calcul de la surmortalité, c’est-à-dire le pourcentage de décès supplémentaires dans un intervalle de temps où une cause agit, ici, la pandémie, et par rapport à la mortalité attendue ou ordinaire si cette cause n’agissait pas (par exemple, sur la même période l’an dernier). Ce chiffre est précieux parce qu’il permet de contourner le problème des tests. Mais il est difficile à interpréter.

Part et évolution de la surmortalité

Tout d’abord, lorsque les patients qui décèdent seraient décédés d’une autre cause dans la période considérée, il n’y a pas de surmortalité – pourtant, ils sont bien morts du COVID-19. Selon Neil Ferguson, dont j’ai parlé à plusieurs reprises dans cette série, cela pourrait aller jusqu’à deux tiers des décès. Le site de la BBC donne un autre chiffre frappant : 10% des patients octogénaires britanniques mourront dans l’année à venir, et la surmortalité due au COVID-19 n’y changera pas grand-chose.

À l’inverse, il y a des décès indirects imputables à l’épidémie, mais pas causés par le COVID-19 lui-même : la saturation des services médicaux, les patients souffrant d’un infarctus qui viennent consulter leur médecin généraliste plus tard, les violences familiales en hausse, etc. Dans certaines régions d’Italie, par exemple, la mortalité a bondi de 600% : difficile d’attribuer ce terrible chiffre au COVID-19 directement, mais difficile de croire que l’ensemble de ses conséquences n’y sont pour rien.

Beaucoup manipulent ces chiffres pour tirer les conclusions qui servent leurs buts. Mais contrairement à une idée très répandue, on ne peut pas leur faire dire ce qu’on veut !

Un bilan définitif ne pourra être fait qu’après la pandémie passée. On peut faire des hypothèses et estimer ainsi combien de morts sont évités par le confinement, mais ces chiffres dépendent des hypothèses sur lesquels ils reposent.

C’est ce qui me conduira à évoquer, dans la prochaine vidéo, la question de savoir si le confinement permettra vraiment d’éviter des morts.

par Maël Lemoine