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Covid-19 : une maladie de « vieux » ?

On a un temps agité la possibilité d’un déconfinement différencié : des règles plus souples pour la population jeune et des règles plus strictes pour la population des plus âgés. Cette option semble avoir été abandonnée pour des raisons politiques : n’est-elle pas « discriminatoire » ?

Par Maël Lemoine

MaelLemoine

N’est pas vieux qui veut !

60 ans, 65 ans, 70 ans ou 80 ans : à quel âge est-on « vieux » ? Beaucoup d’entre nous sympathisaient, voici trois semaines, avec le témoignage de telle dame scandalisée qu’on la catégorise ainsi, tandis que d’autres fustigeaient l’irresponsabilité des sexagénaires (et plus) qui sortaient tous les jours, sans masque, au nom de leurs petites habitudes, alors que tous les autres se confinaient pour parer aux risques qu’ils courent davantage.

« Vieux » est assurément ce que les sociologues appellent un stéréotype, à savoir, une croyance portant sur un groupe d’individus auquel on n’estime pas appartenir soi-même. Les « vieux » sont « irresponsables », « égoïstes », « vulnérables », « stigmatisés », etc. Comme tel, ce terme charrie essentiellement des valeurs, porte un jugement. Cette dame avait donc raison de rejeter le terme… sauf si c’était pour le rejeter sur d’autres qu’elle-même. On peut voir de ses yeux des individus plus âgés bavarder devant une boulangerie, mais c’est un stéréotype de conclure que « les vieux sont irresponsables ».

Sous le stéréotype, pourtant, il existe des faits – démographiques et biologiques. On ne peut les invoquer pour justifier le stéréotype. Mais c’est sur eux, et non sur le simple rejet d’un stéréotype, qu’on doit fonder une politique rationnelle. Condamner les clichés sur les vieux ne doit pas justifier qu’on abandonne une politique de déconfinement différencié sous prétexte qu’il serait discriminatoire.

Définitions démographique et biologique

La démographie adopte des définitions conventionnelles de la « personne âgée », fondée par exemple sur des critères légaux de droits spécifiques (à la retraite par exemple). Elles n’ont qu’un seul avantage : une application aisée et indiscutable (on sait qui a plus de 65 ans et presque tous ceux qu’on classe ainsi ont réellement plus de 65 ans). Elles peuvent en outre être bien adaptée à certains usages. Il se trouve que l’âge chronologique est effectivement associé à des caractéristiques de santé : le cancer et le diabète de type 2 sont beaucoup plus fréquents chez les septuagénaires que chez les quadragénaires, par exemple. En revanche, il est rare qu’elles soient associées aussi étroitement à toutes les caractéristiques de santé. Les septuagénaires ne sont pas égaux en termes de condition physique – ils le sont en tout cas bien moins que les centenaires.

Condamner les clichés sur les vieux ne doit pas justifier qu’on abandonne une politique de déconfinement différencié sous prétexte qu’il serait discriminatoire.

Il existe une définition biodémographique de l’âge par le risque de mortalité. À partir de l’âge adulte en effet, le risque de mortalité augmente dans les populations humaines selon une progression exponentielle. Cette courbe est continue. Elle ne permet donc pas de dire « qui est vieux ». Mais elle fait de l’âge bien plus qu’un simple stéréotype.

Le risque de mourir de la covid-19 ne fait pas exception. Il croît nettement avec l’âge : c’est un fait biologique. Mais il revient à une simple convention, politique, de décider s’il faut définir qui « est particulièrement à risque » et qui « n’est pas particulièrement à risque ». S’il fallait déconfiner différentiellement, toute convention ferait des mécontents. Parmi les insouciants qui ne voudraient pas être les seuls enfermés ; parmi les anxieux, qui ne voudraient pas être exposés. Quel que soit leur âge.

L’âge de ses artères

C’est clair et sans appel : la pyramide des âges des victimes de la covid-19 repose sur sa pointe. Pour autant, ce n’est pas l’âge chronologique, mais un ou plusieurs facteurs biologiques qui l’expliquent. Or ces facteurs biologiques ne sont pas les comorbidités habituelles qui surviennent plus fréquentes avec l’âge. Ce sont des facteurs biologiques non pathologiques. En d’autres termes, un septuagénaire hypertendu est bien plus à risque qu’un septuagénaire en bonne santé, mais la différence de risque de mortalité est nettement moindre qu’avec un trentenaire.

Le responsable principal du sur-risque majeur associé à l’âge est donc le vieillissement normal. Plus exactement, c’est quelque chose dans le vieillissement normal. Immunosénescence ? perte progressive de la fonction endothéliale ? On ne saurait le dire aujourd’hui. Mais une conclusion est claire : stéréotype ou pas, à partir de la soixantaine, on est assez vieux pour avoir une chance significative de mourir de covid-19.

Dans l’absolu, des mesures de confinement différencié, très restrictives pour les plus âgées et inexistantes pour les plus jeunes, auraient plausiblement un coût global très nettement inférieur aux mesures de confinement restrictives et indifférenciées. Coût économique, c’est certain ; coût en qualité de vie, c’est très probable ; coût en termes de santé, c’est difficile à dire. Seul le coût en vies humaines serait peut-être un peu supérieur dans le cas d’un confinement différencié, mais cela n’est pas certain.

Le responsable principal du sur-risque majeur associé à l’âge est le vieillissement normal. Plus exactement, c’est quelque chose dans le vieillissement normal. Immunosénescence ? perte progressive de la fonction endothéliale ? On ne saurait le dire aujourd’hui. Mais une conclusion est claire : stéréotype ou pas, à partir de la soixantaine, on est assez vieux pour avoir une chance significative de mourir de covid-19.

Peut-il être discriminatoire de vouloir protéger ?

Est-il injuste de faire reposer sur les épaules de nos aînés toutes les contraintes de mesures qui visent essentiellement à les protéger eux-mêmes ? Quoi qu’il en soit, ce serait contraire à l’esprit des démocraties sociales européennes. La question posée est plutôt celle d’un ensemble de mesures judicieuses qui marient justice et pragmatisme.

Par exemple, on s’interrogera d’abord sur le poids qu’on fait peser sur les enfants les plus jeunes en leur imposant à l’école des mesures de distanciation qui, à ce jour, semblent largement inutiles pour les protéger eux-mêmes. S’il est vrai qu’ils sont en outre peu contagieux, comme semblent le montrer plusieurs études convergentes, on n’hésitera pas à rouvrir dès à présent toutes les écoles.

Ensuite, s’il faut compter sur l’acquisition d’une immunité collective, c’est par strates d’âge croissantes qu’il faudrait idéalement qu’elle soit acquise. Cependant, même s’il est vrai que les interactions intergénérationnelles sont moins fréquentes que les interactions intragénérationnelles dans l’ensemble, c’est moins vrai, justement, pour les plus âgés.

C’est sur la classe d’âge de la population active que, par conséquent, tout se joue. Idéalement, il faudrait que cette classe d’âge prenne les précautions les plus strictes dans ses interactions avec les plus âgés, mais seulement assez de précautions dans ses interactions internes pour éviter un dépassement des capacités d’accueil des hôpitaux.

L’obstacle principal à cette politique idéale, c’est donc la manière dont les générations se fréquentent. C’est bien là, et non dans nos stéréotypes, que les facteurs culturels et sociaux jouent un rôle majeur dans la sortie de crise.

Retrouvez les douze épisodes de la web-série « COMME À LA FAC », qui apporte des éclairages sur des aspects scientifiques fondamentaux en jeu dans la crise du coronavirus que nous vivons ici
par Maël Lemoine