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Hospitalisations psychiatriques arbitraires, un épisode d’histoire de la médecine

Arbitraires, les hospitalisations en psychiatrie ? Probablement pas. Une célèbre expérience menée il y a presque cinquante ans continue néanmoins de jeter le trouble dans les esprits…

Par Maël Lemoine

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L’expérience de Rosenhan

Au début des années 1970, un psychologue américain de Stanford, David Rosenhan, se présente dans un hôpital psychiatrique américain en prétendant entendre une voix intérieure très peu distincte qui dit des mots comme « toc ». Il demande à sept de ses collègues de faire de même. La consigne est de répondre par ailleurs normalement aux questions du personnel qui les accueille – hormis sur leur profession. S’ils sont hospitalisés, ils doivent se comporter aussi normalement que possible.

Les sept premiers participants de l’étude sont hospitalisés avec un diagnostic de « schizophrénie aiguë » et le huitième, avec un diagnostic de « maniaco-dépression ». Il faut tout de même sept jours pour que le premier d’entre eux soit admis à sortir avec le diagnostic de « schizophrénie en rémission ». Quant au dernier, il lui faudra 52 jours d’hospitalisation avant de retrouver sa vie ordinaire.

Mais on peut prétendre que les circonstances de cette première expérience sont propres à tromper délibérément un psychiatre de bonne foi. La première expérience est donc suivie d’une deuxième, dans laquelle le personnel des hôpitaux était prévenu qu’il faisait l’objet d’une expérience. Il devait donc coter son degré de certitude des diagnostics sur une échelle de 1 à 10 et signaler les cas qu’il soupçonnait être des simulateurs. Au total, 41 patients sur 193 sont considérés comme « suspects » par au moins un membre du service. Mais Rosenhan n’a envoyé aucun collaborateur dans un hôpital psychiatrique pour cette seconde expérience.

Les résultats de cette double expérience sont publiés en 1973 dans la revue Science avec une conclusion cinglante : « il est clair qu’on ne peut pas distinguer les patients sains des malades dans les hôpitaux psychiatriques ».

L’interprétation de l’expérience

Qu’est-ce que cette expérience montre, au juste ?

On peut d’abord l’interpréter comme une incapacité des psychiatres à diagnostiquer rigoureusement un cas de « schizophrénie ». Mais il faut reconnaître qu’un gastro-entérologue hospitaliserait un patient qui vomit du sang, même si celui-ci en avait simplement avalé en vue de tester son diagnostic. Quelle raison a-t-il de soupçonner une fraude ? Cela n’invalide pas sa capacité diagnostique, même s’il ne détectait pas correctement les faux cas une fois averti.

On peut interpréter l’expérience comme une absence de rigueur dans les critères diagnostiques de la schizophrénie – du moins, ceux de l’époque. Ils seraient assez flous pour que l’on diagnostique n’importe qui prétendant présenter des hallucinations. Il est vrai qu’il existe particulièrement en psychiatrie une difficulté, qui existe aussi en médecine plus généralement : une partie des informations sur lesquelles le diagnostic doit se baser viennent de l’interprétation de ce que les patients rapportent. C’est imparfait. Mais on ne saurait faire mieux.

La conclusion de Rosenhan ne souligne cependant pas tant le fait de l’admission, que la période d’hospitalisation elle-même. Comment est-il possible que quelqu’un qui se comporte normalement reste hospitalisé, parfois si longtemps ? Plusieurs explications sont soulignées, au premier lieu desquelles, les six à sept minutes quotidiennes pendant lesquelles seulement un patient hospitalisé voit un médecin psychiatre à l’époque. Suffisantes pour surveiller l’évolution du patient et déterminer s’il peut sortir ? Peut-être pas.

Les suites de cette expérience

L’historien de la psychiatrie Steeves Demazeux souligne que cette expérience continue aujourd’hui de jeter le trouble parmi les psychiatres. Malgré l’amélioration de la rigueur des diagnostics à l’ère du DSM. Malgré l’assouplissement des conditions d’hospitalisation. Et surtout, malgré le retentissement de l’expérience de Rosenhan.

En 2004, Lauren Slater réitère l’expérience de Rosenhan exactement dans les mêmes termes. Elle se présente successivement dans huit hôpitaux psychiatriques avec la même prétention d’entendre une voix qui dit « toc ». Elle n’est admise dans aucun d’entre eux. Mais elle se voit diagnostiquer une dépression avec des traits psychotiques et on lui prescrit des antidépresseurs et des antipsychotiques.

Vive le progrès !

par Maël Lemoine