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[VIDEO] Le vaccin contre le coronavirus entérinera-t-il la fin de la crise sanitaire ?

Le vaccin ne sera pas la solution de la crise sanitaire que nous traversons. C’en sera la dernière épreuve.

par Maël Lemoine, philosophe des sciences médicales, faculté de médecine de Bordeaux.

MaelLemoine

Dans un chœur impressionnant, tous les dirigeants du monde, Emmanuel Macron comme Donald Trump, Angela Merkel comme Jair Bolsonaro, attendent le vaccin comme l’issue à la crise, du moins dans son volet sanitaire.

Donald Trump semble vouloir forcer le calendrier pour que les campagnes de vaccination commencent avant le jour de l’élection présidentielle. Les Européens sont en train d’organiser une distribution rapide et universelle du vaccin, et préparent un plan de publics prioritaires. Tous les gouvernements commandent des doses en avance. Tous anticipent essentiellement des problèmes de disponibilité.

Mais une autre bataille se prépare dans l’ombre, celle des convictions. Les antivax sont trop peu nombreux pour empêcher l’atteinte de l’immunité de groupe par une campagne vaccinale. Mais ils peuvent emporter la bataille de la défiance. Une ombre plane en particulier sur le gouvernement français : celle de la désastreuse campagne de vaccination contre la grippe A H1N1. Il est vrai que la situation était différente. H1N1 était restée une grippe très abstraite, contre laquelle on se vaccinait préventivement plutôt que rétrospectivement. Pourtant, un certain nombre de facteurs pourraient détourner les Français de se faire vacciner en masse. Selon un sondage récent, près d’un quart d’entre eux sont déjà décidés à ne pas se faire vacciner. Quelles raisons pourraient faire basculer les autres dans le camp réfractaire ?

Une autre bataille se prépare dans l’ombre,
celle des convictions.

Un incident majeur dans un essai clinique

Par une erreur de raisonnement bien compréhensible, nous prenons souvent la partie pour le tout. Si, dans un essai clinique, un accident majeur survenait, il serait très difficile d’accréditer la thèse que d’autres vaccins contre le SARS-CoV 2 seraient sûrs. Lors du passage en phase 4 de ces vaccins, c’est-à-dire lors de leur déploiement en masse dans les populations, il est probable que des incidents, même rares, se produisent. Ils ne manqueront pas d’être médiatisés, plus nombreux et moins rigoureusement vérifiés par les « médias alternatifs » certes, mais il peut suffire d’un incident discuté par tous les médias établis pour qu’en masse les Français décident de s’en tenir au masque.

Comme l’a cependant montré le récent incident qui a conduit AstraZeneca à suspendre les essais sur son vaccin, mais n’a pas suscité de réaction générale, la paranoïa ne pourra prendre que lorsque le vaccin contre le coronavirus sera devenu le sujet d’actualité pour les populations.

L’incident majeur est aussi l’inquiétude principale qui agite les autorités dans l’annonce par Vladimir Poutine du déploiement précipité du vaccin russe. Les autorités des autres pays se sont empressées de le qualifier immédiatement ainsi pour le discréditer d’emblée : normalement, la plupart des Français devraient désormais se méfier du vaccin russe. S’ils sont plutôt « médias mainstream », nos concitoyens sont sensibles au chœur des scientifiques qui émettent des doutes – dernièrement, sur la fiabilité des données cliniques publiées par le Lancet la semaine dernière. Et s’ils sont plutôt « vérité alternative », les Français sont sensibles aux discours contre les vaccins, russes ou non.

Cette campagne de containment est intelligente. Mais elle comporte une faille. Si le vaccin russe ne produit pas d’incident majeur, les réticences des autres gouvernements alimenteront la théorie du complot – et l’on accusera les uns et les autres d’avoir favorisé telle ou telle entreprise des Big Pharma.

Un timing défavorable des fluctuations de la crise

De même que nous nous sommes tous sentis partiellement dédouanés des mesures élémentaires de précaution lorsque nous nous sommes retrouvés en famille cet été, et avons éloigné le risque de contamination de leur horizon mental pour profiter d’un très bel été, de même, la crise sanitaire va passer par des pics, où tout le monde redoublera de prudence, et par des creux, où la vague semblera refluer. Dans ces creux, des voix se feront entendre à nouveau : n’avons-nous pas atteint l’immunité de groupe cette fois-ci ? Cette vague n’est-elle pas la dernière ?

D’un autre côté, si la vaccination était accueillie plus favorablement dans un pic de contagion, le mélange important et inévitable des populations pendant la campagne de vaccination pourrait provoquer une augmentation artificielle du nombre de cas au cours des premières semaines. Que dirons-nous des morts qui auront été vaccinés et contaminés le même jour ?

La concurrence des vaccins

Si l’appel a été largement entendu de faire des vaccins un bien universel, une solution pragmatique a vite été trouvée. Les gouvernements paieront pour un accès de leurs populations aux vaccins, qui n’auront que l’apparence de gratuité – et certainement aussi pour une couverture symbolique des populations des pays les plus défavorisés. Ces vaccins sont donc un enjeu majeur pour les compagnies pharmaceutiques qui les développent. Le cours d’AstraZeneca a bondi en mai – certes après une chute en mars –, mais il ne s’est pas effondré après l’annonce de la suspension de l’essai.

Les sociétés pharmaceutiques ne voudront pas se jeter les premières sur ce marché [...]
Au contraire, elles calculeront elles aussi le bon timing d’introduction pour maximiser leurs intérêts.


Les pays favoriseront autant qu’ils le pourront leurs champions nationaux – ne serait-ce que parce qu’ils récupèreront ainsi une partie de leurs mises via l’impôt. Tout est donc en place pour qu’on s’attende légitimement à une cacophonie concurrentielle. Une société qui dispose d’un vaccin et se trouve en mesure de discréditer celui du voisin sans rejeter sur elle-même une part du discrédit, ne se privera certainement pas de le faire.

Ces vaccins ne seront, de surcroît, pas tous disponibles au même moment. Les sociétés pharmaceutiques ne voudront pas se jeter les premières sur ce marché, comme on pourrait le croire hâtivement. Au contraire, elles calculeront elles aussi le bon timing d’introduction pour maximiser leurs intérêts.

Un chœur de « sceptiques raisonnables »

Mais le risque le plus important, c’est celui que feront courir aux populations tous ceux qui, pour une raison ou pour une autre, se montreront à la fois pondérés et sceptiques. Pour intelligente que soit chaque analyse un peu réservée, elles conduiront en masse à alimenter le scepticisme et l’indifférence. Pour tous ceux qui tentent de penser cette crise et écrivent sur elle, c’est le plus grand risque, car c’est celui auquel conduit leur pente naturelle à l’analyse nuancée.

Le risque le plus important, c’est celui que feront courir aux populations tous ceux qui,
pour une raison ou pour une autre, se montreront à la fois pondérés et sceptiques.

Les raisons de douter sont nombreuses, au-delà des risques. Sans être majeurs, les effets secondaires ne seront-ils pas comparables en intensité à ceux que présentent les formes modérées, mais plus fréquents dans la population ? Combien de temps durera la couverture vaccinale ? Sera-t-elle aussi bonne que la contamination naturelle ? Combien de temps faudra-t-il attendre avant de savoir si le vaccin a vraiment été efficace ? Les personnes âgées, les plus à risque comme chacun sait, sont également celles qui répondent le moins aux vaccins : seront-elles elles aussi couvertes ?

Veillée d’armes

La bataille qui clora l’épisode sanitaire de la crise, sera une bataille des esprits. Qu’on s’y prépare avec quelques bons principes à l’esprit. La campagne de vaccination qui s’annonce peut échouer comme échoua celle contre H1N1, et prolonger la crise de plusieurs mois. Il s’agit d’éviter à tout prix que plus d’un quart des Français ait le sentiment de devoir affronter un dilemme : prendre le risque de la vaccination ou prendre le risque de la contamination naturelle ? Il faut préparer les esprits à un choix évident.

par Maël Lemoine