(c) Sandrine Lemoine

Le confinement, bombe à retardement de la mortalité par cancer ?

23,3 % de diagnostics de cancer en moins durant 2020 : l’impact des confinements et de la peur de sortir de chez soi pour aller consulter pourrait être terrible pour les patients atteints de cancer dans les années à venir, selon un article du Monde du 2 février 2021. En réalité, l’estimation est difficile.

Par Maël Lemoine.

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N’en déplaise aux alarmistes comme aux « rassuristes », l’estimation de l’impact réel de la pandémie de coronavirus prendra des années, y compris pour des mesures apparemment simples, comme celles de la surmortalité. Une raison à cela est la durée qu’il faudra aux derniers effets pour s’éteindre. Les cancers sont un bon exemple du problème. Le retard au diagnostic dû au confinement aura certainement des effets sur la mortalité pendant plusieurs années.

Les alarmistes et l'étude du British Medical Journal

Néanmoins, s’il est bien difficile de le prédire, il sera difficile de simplement le mesurer. Les alarmistes souligneront cette étude du British Medical Journal de 2020, évoquée par Le Monde, qui annonce un sur-risque de mortalité de 6 à 8 % selon les cancers pour chaque mois de retard du diagnostic. Les rassuristes feront valoir que dans l’étude citée, il ne s’agit pas de mois de retard au diagnostic, comme l’affirme le quotidien du soir, mais de mois de retard de l’intervention après diagnostic. La différence est en effet de taille. D’abord, un retard au diagnostic induit un retard à l’intervention seulement pour ceux pour lesquels une intervention a été jugée pertinente. Pour les autres, un retard de diagnostic est sans conséquence. Ensuite, comme cela a été noté à de multiples reprises, personne ne peut mesurer l’ampleur du nombre de « faux positifs » que l’on considère comme « sauvés » par une intervention, et qui auraient en fait survécu sans la même intervention. En outre, il faudra estimer l’impact du contexte pandémique dans son ensemble sur la durée de survie des patients traités : personne ne sait encore s’il sera important. Enfin, il ne faut pas oublier que toute comparaison de mesure de la mortalité, comme le propose l’article du BMJ, dépend d’une durée définie – généralement, la survie à 5 ans, mais cela n’est pas précisé dans l’article. Quand un traitement prolonge la vie de quelques mois, la différence du taux de survie est nulle au début de la période « gagnée » par le traitement et maximale juste à la fin de cette période. Pourtant, il peut n’y avoir que quelques mois d’écart entre les deux dates ! On dit parfois qu’il vaut mieux mesurer le gain de temps de vie plutôt que de mesurer la mortalité.

De façon générale, de nombreuses voix « rassuristes » ont demandé que l’on mesure l’impact de la pandémie et celui de toutes les mesures, non pas en nombre de morts, mais en durée de vie. Les mesures de confinement épargnent bien sûr des vies, disent-ils, mais cela concerne beaucoup de personnes arrivées au terme de leur vie. Pour certaines, le gain se compte bien sûr en années mais, pour d’autres, en mois voire en semaines. On ne peut le savoir pour un individu donné, mais on peut l’estimer dans une population. Ce calcul a pourtant moins d’impact politique que le nombre de morts, qui sert de boussole aux politiques publiques – et qui alarme à tort. Toutefois, il est difficile de donner tort aux alarmistes sans remettre en cause la totalité du dispositif de prise en charge du cancer dans nos pays. S’ils sont au moins globalement efficaces, on voit difficilement comment la chute des diagnostics ne pèserait pas lourd dans une surmortalité par cancer.

La pandémie sera en principe l’occasion de mesurer l’impact réel de notre système de dépistage et d’intervention.

Mieux estimer l'efficacité globale de notre système de soins

Les rassuristes iront plus loin et demanderont que l’on mesure la durée de vie ajustée par la qualité de vie (QALY), comme on le fait en cancérologie – au moins dans les études. Il est vrai que la qualité de vie épargnée est notoirement difficile à mesurer. Si l’on peut considérer que 6 mois de vie normale dans l’ignorance de son cancer peuvent tenir tête à 3 mois de survie au prix d’une chimiothérapie dévastatrice, qu’en est-il de 6 mois de vie confinée ou socialement restreinte ?

La pandémie sera en principe l’occasion de mesurer l’impact réel de notre système de dépistage et d’intervention. Quelles seront les conséquences de son enrayement ? Toute conséquence moins dramatique que prévue serait le signe d’une surestimation de son efficacité, quand les conséquences plus dramatiques que prévu pourraient correspondre à un surcoût caché de la pandémie. Saura-t-on ce que la sédentarité forcée et les petits plats réconfortants coûteront en termes de santé ? Quel sera l’impact sur le cancer ?

Beaucoup profitent de cette crise pour faire avancer leurs pions, depuis les adeptes du paiement dématérialisé jusqu’aux militants écologistes. Nul ne saurait préjuger de la nature et l’ampleur de l’impact du retard au dépistage. Cela ne doit pas interdire de conjecturer des prédictions. L’important sera surtout de mesurer et analyser après coup, autant pour comprendre les confinements et les pandémies, que pour comprendre ce que leurs effets révèlent de l’efficacité de nos circuits de soin.

 Pour compléter la lecture

Avancées et impasses sur le cancer #1 / Panorama
Avancées et impasses sur le cancer #2 / Va-t-on trop loin dans le dépistage ?
Avancées et impasses sur le cancer #3 / Tout s'explique-t-il par les gènes ?
Avancées et impasses sur le cancer #4 / Démasquer un cancérogène

COMME À LA FAC - Comprendre la crise coronavirus est animée par Maël Lemoine, enseignant en philosophie des sciences médicales à la faculté de médecine de Bordeaux et chercheur dans une unité CNRS d’immunologie, ImmunoConcept. Son but est de prendre du recul sur les événements Covid-19 en  délivrant un éclairage court et posé de niveau universitaire.

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par Maël Lemoine