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Maladie de Lyme : dans la trappe à médicalisation ?

La maladie de Lyme est une infection identifiée récemment. Plus récemment encore, elle a créé une véritable psychose de la tique, son vecteur principal. Les enfants sont privés de sortie en forêt, les indicateurs épidémiologiques s’affolent et la confiance se perd. Que s’est-il passé autour de la maladie de Lyme ?

Par Maël Lemoine

MaelLemoine

Publiées au début du mois de juillet, les recommandations de la Haute Autorité de Santé dans la prise en charge de la borréliose de Lyme ont jeté le trouble en proposant un nouveau diagnostic, le SPPT ou « symptomatologie/syndrome persistant(e) polymorphe après une possible piqûre de tique ». Dans une tribune publiée un petit mois plus tard, les professeurs Gentilini et Bricaire, infectiologues et membres de l’Académie de Médecine, se sont faits les porte-voix de ceux qui craignent une reconnaissance officielle de la « maladie de Lyme chronique », entité tout à fait fantasmatique à l’origine de nombreux errements thérapeutiques dans le monde, en particulier aux Etats-Unis.

Académie de Médecine contre Haute Autorité de Santé : une guerre entre mandarins ?

La polémique est simple à première vue : les uns voudraient donner un statut officiel à la maladie de Lyme chronique, les autres, réitérer avec fermeté le refus de reconnaître l’existence d’une telle pathologie. Les deux professeurs de l’Académie considèrent en effet ce SPPT comme un avatar non équivoque du « Lyme chronique ». C’est ainsi que les recommandations de la HAS ont été résumées dans la presse.
Elles sont pourtant plus prudentes. S’interrogeant sur l’existence de ce syndrome, la HAS propose une sorte de diagnostic hypothétique, le SPPT – une maladie possible, dont elle s’empresse d’expliquer que 80 % des cas s’expliqueront sans doute par une autre étiologie – plus d’un tiers de ces cas relevant davantage de l’épuisement professionnel, du harcèlement ou d’un trouble psychiatrique. Quant aux cas restants, ils se partagent entre cas non-traités de borréliose de Lyme et cas inexpliqués. Pour ces derniers, un traitement antibiotique d’épreuve de 4 semaines est recommandé.
Ces recommandations n’affirment donc pas l’existence d’une borréliose de Lyme chronique. Mais elles ouvrent la boîte de Pandore des diagnostics possibles, dans lesquels se trouvent déjà l’hypersensibilité électromagnétique, la myofasciite à macrophages, les Morgellons et quelques autres. Il faut sans doute comprendre que c’est cela, et non une reconnaissance officielle à proprement parler, qui fait l’objet de la controverse. Faut-il qu’une autorité de santé reconnaisse l’existence d’une maladie non documentée ?

Les maladies non diagnostiquées

On peut en distinguer de plusieurs sortes, parmi lesquelles au premier chef les maladies sans diagnostic. Paradoxales affections : comment les caractériser comme pathologiques sans diagnostiquer une maladie ou, du moins, un syndrome ? Pourtant, toutes les maladies connues prises ensembles, ne sont pas le tout des maladies existantes.
Les maladies non diagnostiquées qui présentent des symptômes très spécifiques sont vite isolées du pot commun, identifiées et expliquées. Le SIDA ou le SRAS, la maladie de Creutzfeld-Jacob, et toutes les autres maladies de ce type, ne restent pas longtemps non diagnostiquées. Au contraire, les maladies non diagnostiquées qui le demeurent longtemps présentent généralement des symptômes peu spécifiques. Souvent, il s’agit du trio myalgie, fatigue et céphalée, à quoi peuvent s’ajouter de nombreuses manifestations neurovégétatives, comportementales ou cognitives. Devant ces symptômes, la médecine reste souvent dans une impasse. Elle ne peut en nier la réalité mais ne peut en expliquer l’existence. Sans cause connue, voire soupçonnée, ces ensembles de symptômes demeurent sans diagnostic ni traitement.

 

Undiagnosed Diseases Network

Aux États-Unis, les National Institutes of Health ont mis en place l’Undiagnosed Diseases Network (UDN) afin de soumettre ces cas à une investigation approfondie et de découvrir de nouvelles maladies, probablement rares. Le médecin généraliste sait que le champ des maladies sans diagnostic est probablement immense, et n’a pour condition que la présence de ces symptômes non spécifiques et l’existence d’une plainte, voire d’une revendication du statut de malade. Pourtant, l’UDN n’a récolté à ce jour que 2700 dossiers et accepté un peu plus de 1000. Il faut donc qu’un filtre drastique, explicite et implicite, s’applique.
Les conditions d’une prise en charge par le programme sont simples : il faut que le dossier soit assorti d’un dossier rédigé par le médecin qui suit le patient, que la preuve d’une investigation approfondie soit faite et qu’au moins un « signe objectif » soit présent. On peut supposer qu’elles suffisent à écarter la plupart des cas. Quant à ceux qui passent le filtre, ils sont conformes à l’hypothèse favorisée par les moyens d’investigation du réseau et ressemblent à des maladies génétiques rares.Les symptômes de la « maladie de Lyme chronique » seraient justement des symptômes non spécifiques. Les patients qui en sont atteints peuvent ainsi attendre longtemps dans le premier cercle du purgatoire de la divine nosologie.

Les maladies hypothétiques

Tout espoir n’est pas abandonné pour les patients dont une hypothèse vient mettre en forme les symptômes. De maladie sans diagnostic, aspécifique et générique, l’entité passe au statut d’une maladie à cause spécifique (mais aux manifestations banales). Le gold standard de la maladie hypothétique serait le succès d’un traitement. Quand la plainte qui s’est installée est soudainement levée en même temps qu’une cause est éliminée de l’environnement – les ondes électromagnétiques, le gluten, les bisphénols, ou plus plausiblement, certaines protéines du lait de vache –, l’entité est établie.

Du moins, en principe. Dans le fait, il demeure deux difficultés. La première est que ces symptômes sont typiquement sensibles à la suggestion ou à l’effet placebo. Qu’ils soient allégés ou disparaissent avec un régime de vie particulier prouve donc difficilement que c’est le fait plutôt que la conviction qui a soulagé le patient. La deuxième difficulté est qu’on ne sait quels patients souffrant de ces symptômes mettre dans la catégorie délimitée par l’hypothèse. Souffrent-ils de céphalées, myalgie et fatigue à cause d’une borreliose, d’une mononucléose, d’une allergie alimentaire, ou bien de l’anxiété ? Ceux qui sont soulagés par une action sur l’une de ces causes, ne peuvent être classés comme ayant tous souffert de l’influence de cette cause, faute d’un marqueur de son action sur eux plus spécifique que de son action sur les autres. Car enfin, tous ceux qui mangent du gluten ou sont soumis aux ondes électromagnétiques, ne présentent pas ces symptômes.
Le piège le plus grossier de l’hypothétisation d’une « maladie » est l’affirmation sans aucun élément sérieux que la cause est… X. Cet « X » demeure généralement à la fois inéliminable et invérifiable. Le piège se referme sur le patient. Il s’est jeté irrationnellement sur une explication, et s’arc-boute d’autant plus à son explication que le médecin refuse de la prendre au sérieux.

Il ne fait aucun doute que la « maladie de Lyme chronique » prend le chemin de ces maladies à hypothétisation chronique. Aujourd’hui associée à la présence indétectable d’une infection « cachée », elle le sera demain à une autre cause à la mode, effrayante de préférence, comme elle l’a été par le passé à des « miasmes » mystérieux ou au « magnétisme animal ». L’assignation de la cause se fait sans aucun contrôle et, souvent, sans aucun contrôle possible.Il ne faudrait pas oublier, cependant, que c’est le cheminement normal d’une nouvelle maladie, que de passer d’abord par le statut de simple hypothèse. De syndrome, elle se fait éventuellement maladie lorsque la cause est découverte. Pour les états associés à une symptomatologie peu spécifique, cela demeure peu vraisemblable.

La trappe à médicalisation

La plupart des patients qui souffrent de ces misères de la vie quotidienne, clairement somatiques, vaguement pathologiques, ne franchissent pas le pas d’une hypothèse qui expliquerait tout. Ils errent d’un statut à l’autre au gré de ce que le médecin leur dit, de ce que la télévision leur fait imaginer et ce dont leurs lectures les convainquent pour un temps.

"Allen Steere, spécialiste de la maladie de Lyme, a été harcelé et menacé de mort par des groupes de patients qui militaient pour la cause du « Lyme chronique »"


Un petit nombre d’entre eux se radicalise. En 2001, le chef du département d’immunologie et de rhumatologie d’un grand hôpital de Boston, Allen Steere, spécialiste de la maladie de Lyme, a été harcelé et menacé de mort par des groupes de patients qui militaient pour la cause du « Lyme chronique », qu’il s’obstinait à ne pas reconnaître. Il a fallu lui assigner des gardes du corps.
Qu’ils errent ou qu’ils se fanatisent, les patients à symptômes non spécifiques souffrent, se trompent, mais demeurent prisonnier d’une même idée : leurs cas relèvent de la médecine. Même si l’on peut admettre que toute céphalée est pathologique, celle que j’ai avec la gueule de bois ne relève pas de la médecine, pas plus que les sueurs froides de l’anxieux dans l’avion ou les tremblements de celui qui parle en public. Il y a de si nombreuses causes à la fatigue et aux douleurs musculaires, qu’on ne saurait les considérer toutes comme du ressort de la médecine.

Je propose d’appeler trappe à médicalisation le piège qui se referme sur nous lorsque nous souffrons et demeurons en même temps prisonniers de l’hypothèse que notre souffrance ne saurait être soulagée que par l’intervention du médecin. La trappe à médicalisation est l’envers de la domination de la médecine sur la société.

par Mael Lemoine