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L'impact environnemental des traitements par chimiothérapie

En 2015, 308 634 personnes ont été traitées par chimiothérapie en France et leur nombre va croissant (1). Si depuis plusieurs années, de nombreuses publications alertent les personnels soignant sur la dangerosité de l’utilisation des molécules utilisées lors de traitement en chimiothérapie et les sensibilisent aux précautions à prendre, qu’en est-il des patients et de leur entourage ?

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Par Cécile Menu

Les molécules présentes dans les traitements de chimiothérapie peuvent se retrouver dans les excreta (sueur, urines, selles, vomissements) pendant au minimum 4 jours après la fin du traitement, et avoir un impact sur l’entourage et l’environnement. Or, les médicaments cytotoxiques utilisés dans le traitement du cancer sont des agents potentiellement cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques. La prévention de l’exposition aux produits anti-cancéreux cytotoxiques (ou à leurs métabolites) est donc une mission de santé publique, dans laquelle l’hôpital est fortement impliqué.

En établissement hospitalier, les règlementations et toutes les recommandations requises dans la préparation et la délivrance des traitements contre le cancer sont consignées dans la démarche qualité et la gestion des risques professionnels de l’établissement (2-3). L’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS) met, quant à lui, à disposition des documents conçus pour tous ces professionnels, qu’ils interviennent en milieu de soin ou à domicile pour travailler en sécurité en adoptant les mesures de prévention collective et individuelles (4).

"si un protocole de protection contre les excreta et les vomissures des malades traités par anticancéreux a été mis en place à l’hôpital pour le personnel soignant, jusqu’à présent rien n’existe pour les patients eux-mêmes et leur entourage"

Le patient inscrit dans un protocole de soins en chimiothérapie est dans 98 % des cas accueilli en hospitalisation de jour dans un établissement de santé (5) et rentre ensuite à son domicile. Or si un protocole de protection contre les excreta et les vomissures des malades traités par anticancéreux a été mis en place à l’hôpital pour le personnel soignant, jusqu’à présent rien n’existe pour les patients eux-mêmes et leur entourage.

"Passeport pour une chimiothérapie responsable" : informer sur le retour à domicile

Le personnel soignant est régulièrement confronté aux questions pratiques des patients et de leur entourage, portant sur le retour à domicile. « Il était donc essentiel de créer un support structurant l’information pour qu’il puisse devancer ces questions et informer le patient sans l’inquiéter », nous dit Ségolène Benhamou, PDG de l’Hôpital Privé Nord Parisien (HPNP). L’HPNP a ainsi développé durant 18 mois en co-création avec toutes les équipes, oncologues, patients, infirmiers, pharmaciens, psychologues et l’industrie pharmaceutique, un outil pour le bien-être des familles et des patients : « le passeport pour une chimiothérapie responsable ». « L’information est délivrée par l’infirmière d’annonce et expliquée. Ce sont des gestes de bon sens au quotidien, facilement réalisables », rapporte Louisa Oulebsir, cadre de soin, HPNP. L’HPNP souhaite organiser des sessions de formation auprès des infirmières libérales qui visitent le patient à domicile et mettre dans la boucle le médecin traitant. « Cette démarche nécessite l’adhésion de l’ensemble des professionnels de santé », poursuit S. Benhamou, « elle s’inscrit dans le prolongement de notre démarche globale de développement durable portant sur la qualité, la gestion des risques, les problématiques environnementales, sociales et sociétales ».

Le développement du « passeport pour une chimiothérapie responsable » a été piloté par l’agence Primum Non Nocere et réalisé avec le soutien institutionnel du laboratoire Merck. Pour en analyser l’impact, un questionnaire sera remis aux patients et un autre questionnaire sera disponible pour les professionnels de santé, téléchargeable sur leur tablette. Début 2019, une version actualisée sera disponible tenant compte de leurs appréciations. La prochaine étape étant la création d’une application.

Chimiothérapie à domicile :  des conséquences environnementales liées au rejet de résidus médicamenteux

De nombreuses études ont mis en évidence des traces de ces résidus médicamenteux issus des excréta dans l'environnement de travail ou encore dans les eaux usées, notamment en sortie des établissements de santé (3). Comme l’évoque la Haute autorité de santé (HAS) : « La chimiothérapie anticancéreuse est le plus souvent réalisée dans les pôles d’hospitalisation de jour (HDJ) des établissements de santé. Mais l’augmentation de l’incidence des cancers et leur chronicisation accroissent les besoins. Aussi, le transfert d’une partie des activités de chimiothérapie au domicile semble pertinent. » (6). Même si « Les chimiothérapies sont réalisées dans les mêmes conditions de qualité et de sécurité qu’en HDJ, notamment pour la préparation des solutions médicamenteuses. », ne serait-il pas essentiel de prendre des mesures pour éviter le rejet des résidus médicamenteux issus des excréta à domicile comme c’est le cas pour les hôpitaux pour lesquels la réglementation et les conditions de sécurité sont très poussées (7) ?

"Ne serait-il pas essentiel de prendre des mesures pour éviter le rejet des résidus médicamenteux issus des excréta à domicile comme c’est le cas pour les hôpitaux pour lesquels la réglementation et les conditions de sécurité sont très poussées ?"

Les ministères ont déjà été mis en place des plans tels le plan national sur les résidus de médicaments (2010-2015) et plus récemment le plan national micropolluants 2016-2021, mais il ne semble pas que cette question soit spécifiquement abordée. Olivier Toma, fondateur de Primum Non Nocere et du Comité pour le Développement Durable en Santé (C2DS) s’interroge sur l’absence d’actions dans ce domaine sachant que la récupération des excreta existe déjà en médecine vétérinaire. L’agence Primum Non Nocere a déjà alerté le ministère des Solidarités et de la Santé sur la nécessité d’aider les professionnels de santé à mieux accompagner à domicile les patients et propose également que toutes les parties prenantes réfléchissent à la réduction de l’impact des traitements de chimiothérapie sur l’environnement.

Le «Passeport pour une chimiothérapie responsable» est une première réponse, cohérente et uniforme, pour accompagner le personnel soignant dans son rôle d’éducation et de prévention, au sein et en dehors de l’établissement de santé, mais aussi pour rassurer le patient et son entourage. Il explique en 9 fiches de façon pratique, ludique et non culpabilisante les mesures à respecter et les attitudes à adopter au quotidien en cas de traitement par chimiothérapie. Les 9 fiches abordent les thématiques suivantes : 

  • Utilisation et manipulation des médicaments cytotoxiques. 
  • Précautions à prendre en cas de relations sexuelles. 
  • Contact avec l’entourage le plus fragile (enfants, femmes enceintes, etc.) dans les premières heures suivant le traitement. 
  • Pratiques d’hygiène en cas de contact avec un traitement. 
  • Gestion des sécrétions et excréments pendant les 4 jours suivants un traitement. 
  • Élimination des déchets en circuit adapté. 
  • Contacts avec les animaux de compagnie. 
  • Gestion du linge.
  • Le « Passeport pour une chimiothérapie responsable » est remis aux patients et aux aidants par les professionnels de santé.

 

Notes(1) Institut national du cancer, Chimiothérapie cancéreuses, 2017 https://www.e-cancer.fr/Professionnels-de-sante/Les-traitements/Chimiotherapie
(2) Anticancéreux : utilisation pratique 7ème édition Dossier CNHIM 2013
(3) Les traitements anti-cancéreux : prévention du personnel de santé et impact sur l’environnement, AP-HP, Hôpital européen Georges-Pompidou, Laetitia LE et Éric CAUDRON, 2015 - https://bvs.anses.fr/sites/default/files/BVS-mg-028-Le_Caudron.pdf
(4) www.inrs.fr/dms/inrs/CataloguePapier/ED/TI-ED-6138/ed6138.pdf
(5) AFC-UNHPC
(6) https://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_2611406/fr/chimiotherapie-en-hospitalisation-a-domicile-une-pratique-a-developper
(7) https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/pour_une_bonne_gestion_des_dechets_produits_par_les_etablissements_de_sante_et_medico-sociaux.pdfLe Code de l’environnement distingue deux grands types de déchets issus de médicaments, ceux issus des médicaments cytotoxiques et cytostatiques, classés dangereux en raison de leurs propriétés cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction (CMR) et ceux issus des médicaments non cytotoxiques non cytostatiques, classés non dangereux. La circulaire ministérielle DHOS/E4/DGS/SD.7B/DPPR n° 2006-58 du 13 février 2006 précise les modalités de traitement des déchets issus de médicaments cytotoxiques et cytostatiques. La gestion des déchets est régie par l’article Art. R 1335-2 du code la santé publique.

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