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[INTERVIEW] Sensibiliser les professionnels de santé aux effets de la pollution

Chaque année, la pollution de l’air est directement responsable de 67 000 morts en France et 790 000 en Europe. Depuis 2006, l’Association Santé Environnement France (Asef) se bat contre ce fléau et pour redonner une action sociétale au médecin dans la lutte contre ce problème de santé publique. À l’occasion de la Journée de la qualité de l’air à Paris qui s’est tenue le 16 septembre dernier, le Dr Pierre Souvet, cardiologue,  fait le point sur son action.

propos recueillis par Laurent Joyeux.

LaurentJoyeux

Visionnez l'interview du Dr Pierre Souvet :

Dr Souvet, comment est née l’Asef ?

pierresouvetportraiththouroude e1489593015872L’association santé environnement Provence (Asep) est née la première en 2006. Les effets de la pollution sur la santé n’inquiétaient ni les autorités, ni le public, ni les médecins. Rien n’existait sur le plan santé et environnement.

Notre première action a été de comparer les pécheurs qui consommaient les poissons du Rhône, très pollué au PCB, avec un groupe témoin. Le WWF a financé les prises de sang. Devant le retentissement national de cette étude, nous avons décidé avec le Dr Patrice Halimi (ORL), qu’il « était temps de faire » et nous avons créé l’Association santé environnement France (Asef) en 2008. Notre but était de redonner une action sociétale au médecin, de prendre du recul pour avoir une vision globale de la santé humaine et de ce problème de santé publique.

L’Asef regroupe tous les professionnels de santé, tout le corps médical, des pharmaciens, des infirmiers et nous sommes tous bénévoles. Nous souhaitons faire entendre la parole médicale. C’est un enjeu de santé publique. Une étude estime à 67 000, en France, le nombre de morts lié à la pollution de l’air. À l’échelle européenne, on arrive à 790 000 décès et c’est encore pire dans les pays de l’Est .

Quel est le périmètre de votre action ?

Il est vaste ! L’Asef réalise des études et des enquêtes. Nous colligeons la littérature pour les adhérents, rédigeons des guides de prévention. Une autre action concerne la prévention et la formation continue… Nous travaillons sur des cas concrets. Par exemple nous avons étudié l’air respiré par les enfants dans une crèche du Nord de la France. Il contenait benzène, phtalates et des taux très élevés de formaldéhyde. En étudiant les lieux, nous avons constaté que l’air venait d’un sous-sol où étaient entreposés des panneaux d’aggloméré.

Nos Guides de prévention traitent de tous les aspects de la vie quotidienne. Ils donnent des conseils et indiquent les bonnes pratiques. Avec l’URPS Paca, nous avons mené une action de formation continue : « Comment protéger ses patients de la contamination chimique ». Elle est accessible sur Internet. Nous formons des formateurs qui formeront d’autres médecins. Hélas, selon les régions, les URPS et les Agences régionales de santé sont plus ou moins motivés. Idem pour les professionnels de santé : si les sage-femmes sont très en pointe sur le sujet, les médecins et même les pharmaciens, pourtant plus formés à la fac, sont un peu moins actifs car ils n’ont pas été sensibilisés pendant leur cursus d'études. L’introduction pendant les études médicales d’un cycle sur la santé-environnement est un de nos objectifs. Les médecins pratiquent souvent une forme de zapping à cause de leur surcroît de travail. Nous devons trouver les bonnes formules pour diffuser nos messages.

Si les sage-femmes sont très en pointe sur le sujet (ndlr : de la santé environnementale),
les médecins et même les pharmaciens, pourtant plus formés à la fac, sont un peu moins actifs car ils n’ont pas été sensibilisés pendant leur cursus d'études.


Quel est l’engagement des pouvoirs publics sur la pollution ?

L’engagement de l’État est indispensable en attendant que les compétences reviennent aux territoires. Aujourd’hui les chargés de mission des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) ne sont pas formés à ces sujets. Dans chaque établissement public de coopération intercommunale (EPCI), on pourrait inscrire dans les contrats locaux de santé un diagnostic et un plan territorial Santé environnement. Cela se pratique déjà à Lorient et à Valence. Aujourd’hui beaucoup d’initiatives locales pourraient être mutualisées et réunies dans une bibliothèque d’idées. Cela permettrait de synchroniser et d’harmoniser les actions.

L’épidémie de Covid-19 a réorienté le Plan national de santé environnement vers les épidémies et mis en lumière le concept One Health qui propose une vision globale de l’individu et des santés humaine, animale et environnementale. Concernant l’antibiorésistance, les mécanismes sont les mêmes si on utilise trop de biocides ou d’antibiotiques. C’est pour cela que nous avons lié une alliance avec des associations environnementales et la fédération des syndicats de vétérinaires : les santés humaine, animale et celle des écosystèmes sont reliées !

Quels ont été les effets du confinement sur l’air de Paris ?

Il a permis de réaliser des études. On a constaté une baisse de 30 % des dioxydes d’azote et des particules ultrafines. Celles-ci ne sont pas dosées actuellement car on ne peut pas les peser, juste les compter. Pourtant ces nanoparticules pénètrent toutes les barrières des vaisseaux et du système cardiovasculaire. Elles entrent même dans le cerveau par le bulbe olfactif. Au cours des grossesses, elles augmentent le nombre de pré éclampsie et de prématurité.

Les véhicules diesel, même les plus récents, restent nocifs pour l’air puisque ces nanoparticules franchissent tous les filtres. De plus le diesel génère jusqu’à six fois plus de dioxyde d’azote que l’essence. De plus leur système anti-pollution fonctionne mal à froid par forte chaleur ! Ils seront interdits à Paris en 2025. Bruxelles, Milan, Athènes… Bien d’autres grandes villes européennes se sont engagées à le supprimer.

À Tokyo qui a dit non au diesel en 1999, le taux de particules fines a diminué de 44 % avec des effets sur la santé incontestables  : - 11 % de mortalité cardiovasculaire, - 20 % de mortalité pulmonaire et – 7 % de cancers du poumon !

Constatez-vous une évolution dans l’approche des médecins ?

Il y a un énorme progrès. En 2007, au cours d’un mini congrès de cardiologie, les participants étaient surpris par le contenu des communications. Les sources étaient issues de la littérature anglo-saxonne. Aujourd’hui plus personne n’a de doute sur ses dangers.

Patients et professionnels de santé sont beaucoup plus sensibilisés. Pourtant beaucoup de médecins n’ont pas le réflexe de demander à leurs patients ce qu’ils font comme métier ou ce qu’ils mangent. Il n’y a pas suffisament de formation aux questions de la prévention.

La santé environnement est un facteur de risque collectif au même titre que les facteurs individuels comme le tabac ou le diabète. La prévention est essentielle, aussi bien en direction des professionnels de santé que des populations. Aujourd’hui il n’y a pas de formation sur le sujet à la fac ! et trés peu de formation continue. Heureusement le sujet va bientôt être introduit à la faculté. Le Pr Sibilia, Doyen de la faculté de Strasbourg, cherche, dans chaque faculté, un référent « développement durable ». L’Asef élargit sa couverture en direction des futurs professionnels de santé très concernés par le sujet. Nous avons des projets avec le syndicat des Jeunes médecins, avec l’Association nationale des étudiants en médecine de France et avec celle des étudiants en pharmacie de France.

Nous comptons sur des appuis de partenaires et de l’ensemble des syndicats de médecins pour sensibiliser les populations au problème des pollutions afin qu’il y ait le moins de malades possible. La santé environnement est un enjeu primordial dans les années qui viennent.

Pour que notre système de santé perdure, il faut que la prévention soit un des éléments majeurs de la politique de santé avec la qualité des soins.


Pour compléter cette lecture : Pollutions de l'air, de l'eau... un enjeu de taille pour les pros de santé


 

par Laurent Joyeux