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Errance thérapeutique de l’endométriose : privilégier la formation [INTERVIEW]

Une femme sur dix est concernée par l’endométriose, soit 2.5 millions de femmes en France. Malgré cette forte incidence, le diagnostic tarde encore à être donné. En attendant, les femmes vivent dans la douleur et dans la peur. Comment pallier ce problème ? Le Dr Emilie Faller, gynécologue obstétricienne spécialisée en chirurgie gynécologique au CHRU de Strasbourg et membre du comité scientifique de l’association EndoFrance, plaide pour une meilleure formation.

Propos recueillis par Laure Martin.

LaureMartin

PHOTO 2020 11 06 23 00 29Comment expliquer cette carence de diagnostic chez les femmes atteintes d’endométriose ?

Lors du concours de l’internat, les futurs médecins doivent ″survoler″ toutes les pathologies. Et jusqu’à cette année, l’endométriose n’était pas abordée. Seules l’étaient les douleurs pelviennes. Les programmes de l’internat n’ont pas été révisés pendant de longues années, et l’endométriose n’avait jusqu’ici pas ″méritée″ d’être mise au programme. Depuis cette année, l’item « endométriose » est inscrit pour le concours. Tous les futurs médecins vont donc devoir travailler la question. Dans les faits, il va encore falloir attendre trois à quatre ans pour les médecins généralistes et cinq ans pour les autres spécialistes, pour que les premiers ayant étudié la question exercent sur le terrain.

Bien entendu, rien n’empêche les médecins de faire la démarche de se former, en suivant une formation continue, en s’inscrivant à des congrès.

La conséquence de cette absence de formation est donc l’errance thérapeutique ?

Le manque de formation des médecins et des gynécologues conduit effectivement à l’errance thérapeutique ou à un diagnostic trop tardif. Un délai moyen de sept ans s’écoule entre l’apparition des symptômes et la pose du diagnostic. La maladie n’a pas vraiment de symptômes précis. Parfois les IRM ou les échographies ne vont rien montrer. Ou parfois ces examens vont être mal réalisés car les médecins n’étant pas formés à l’endométriose ne savent pas quoi, ni où chercher.

Un cercle vicieux se met en place. La femme a mal, fait des examens qui ne sont pas révélateurs, elle retourne chez son médecin qui n’a pas de réponse. Elle ne comprend pas pourquoi elle souffre, ce qui peut conduire à un glissement vers une dépression et une chronicité des douleurs. La qualité de vie des femmes est directement impactée accompagnée fréquemment d'un absentéisme scolaire et professionnel, voire de pertes d’emploi. La maladie n’est pas reconnue comme une affection longue durée alors qu’elle concerne autant de personnes que celles touchées par le diabète ou l’hypertension. En Italie, les femmes atteintes d’endométriose disposent d’un congé menstruel de trois jours.

Comment s’expliquer cette douleur ?

La maladie est liée aux cellules de l’endomètre qui se trouvent en dehors de l’utérus. Tous les mois, à la période de règles, ces cellules vont saigner. Cela génère des hémorragies, qui peuvent provoquer des nodules et envahir les organes. Les organes vont alors se coller, ce qui peut boucher les trompes. Généralement, les amas de cellules restent dans le ventre, mais il y a des formes rares qui se placent dans les poumons, entraînant des hémothorax cataméniaux.  

La maladie peut générer un phénomène d’hypersensibilisation des organes autour de l’utérus comme la vessie, les intestins. Ils deviennent douloureux alors qu’ils ne sont pas directement touchés par la maladie, une situation qui peut aussi entraîner des douleurs musculaires. La maladie peut aussi avoir des conséquences sur la fertilité…

En effet, mais ce n’est pas le cas de toutes les femmes. Si une femme sur dix va être atteinte d’endométriose, une ou deux vont avoir une forme grave et des conséquences sur leur fertilité. Il faut vraiment expliquer que cette maladie n’est pas nécessairement catastrophique. Les femmes ne doivent pas être stigmatisées et toutes ne vont pas être stériles.

Le manque de formation des médecins et des gynécologues conduit effectivement à l’errance thérapeutique ou à un diagnostic trop tardif. Un délai moyen de sept ans s’écoule entre l’apparition des symptômes et la pose du diagnostic.

Comment soigner l’endométriose ?

Il n’existe pas de traitement pour en guérir. En revanche, il y a des traitements pour soulager et contrer les effets, notamment les traitements hormonaux. La pilule par exemple a un effet palliatif car elle diminue les règles, donc les saignements. La douleur est ainsi calmée. Mais avec la défiance des femmes envers la contraception à base d’hormone de ces dernières années, nombreuses d'entre elles ne veulent plus y recourir. Certaines lui préfère un stérilet au cuivre. Or l’effet contraceptif de ce dernier est lié à la réaction inflammatoire qu’il provoque dans l’utérus, laquelle entraîne une modification de la paroi de l’endomètre : une conséquence  tout à fait indésirable chez les femmes atteintes d’endométriose. Bien sûr, les hormones sont suceptibles d'effets secondaires, mais pour cette maladie, pour le moment, ce sont les seuls traitements dont nous disposons. 

J’ajoute que ce courant « anti-hormones » a, pendant un temps, généré une forme de méfiance des patientes vis-à-vis de leur médecin généraliste, ou de leur gynécologue habituel, elles ont alors préféré consulter des spécialistes experts de l'endométriose. Ce n’est pourtant pas la solution ! De nombreuses femmes viennent me consulter alors qu’elles sont déjà bien traitées. Les consultations chez les spécialistes doivent être réservées aux cas compliqués, pour les infertilités par exemple ou lorsqu’il faut opérer, et non pour rassurer les patientes sur les compétences de leur médecin habituel.

Aujourd’hui, comment éviter un diagnostic tardif des femmes ?

Le ministère de la Santé souhaite mettre en place des filières de prise en charge de l’endométriose dans toutes les régions. Aujourd’hui, trois Agences régionales de santé (Auvergne-Rhône-Alpes, Ile-de-France, PACA) sont pilotes pour la co-construction, avec les acteurs, des premières filières et l’identification des freins et points d’appui afin d’outiller les autres ARS. L’ARS Grand-Est, qui ne fait pas partie des pilotes, a toute de même demandé aux établissements hospitaliers de la région, de réfléchir à une solution pour la mise en place de cette filière. L’objectif serait de proposer de la formation continue aux médecins généralistes et aux gynécologues notamment, pour rattraper le retard. Et aussi de mettre en place un parcours de soins gradués pour les patientes afin qu’elles n’aient à être prises en charge au CHU que pour les formes extrêmement graves de la maladie. Les formations pourraient être réalisées par les médecins, mais sans oublier  d'impliquer des patientes expertes !

par Laure Martin