Groupements hospitaliers de territoire - Les restructurations sont en marche

Un vaste mouvement de restructuration de l’hôpital public a débuté avec les créations de « groupements hospitaliers de territoire » (GHT) prévues dans la loi par la ministre de la Santé Marisol Touraine. Les textes d’application sont encore en cours de concertation mais la naissance de 100 à 150 GHT sur tout le territoire est attendued’ici à la fin de l’année.


Lors des débats sur la loi Touraine, tout au long de l’année dernière, c’est sur la généralisation du tiers payant que les projecteurs se sont le plus portés, en raison de la forte opposition que cette mesure a fait naître chez les médecins libéraux. Pourtant, ce n’est pas nécessairement cet aspect de la loi qui aura le plus de conséquences dans les prochaines années : la création des groupements hospitaliers de territoire (GHT), dont les textes d’application sont en cours de concertation, est une mesure probablement beaucoup plus structurante. Les choses commencent d’ailleurs déjà à se mettre en place et suscitent quelques inquiétudes.


Coopération et rationalisation de l’offre de soins


En mars, la ministre de la Santé a annoncé le déblocage de dix millions d’euros pour accompagner la mise en place de ces GHT dont les premiers devraient théoriquement être constitués dès le mois de juillet. Il ne s’agit pas d’une révolution mais d’un vrai coup d’accélérateur donné au vaste mouvement des restructurations hospitalières. En réalité, les GHT viennent prendre la place des « communautés hospitalières de territoire » créées par la loi Bachelot de 2009 et qui ont connu un succès relatif. La logique est la même : engager les hôpitaux publics à travailler davantage ensemble et à mutualiser certaines activités dans un objectif de réduction de coût mais surtout de rationalisation de l’offre de soins. « Moins d’un établissement sur quatre fait partie d’une communauté hospitalière de territoire et parmi celles qui ont été créées, toutes ne s’appuient pas sur un projet médical commun, a souligné Marisol Touraine il y a quelques semaines lors de l’installation du comité de suivi des GHT. Les raisons de ces blocages sont multiples : manque de lisibilité des dispositifs en vigueur, faible mobilisation de certains acteurs, absence de dynamique collective ». Pourquoi les GHT marcheraient mieux que le dispositif actuel ? Tout simplement parce que la loi Touraine prévoit que l’ensemble des établissements publics de santé devront s’inscrire « obligatoirement dans une démarche de coopération territoriale » et un calendrier très ambitieux a même été fixé.


Le « projet médical partagé »


Entre 100 et 150 GHT pourraient être mis en place dans les prochains mois. Selon le rapport de mission établi fin février par la directrice du CHU de Grenoble, Jacqueline Hubert, et le Dr Frédéric Martineau, président de la CME du Centre hospitalier de la Côte Basque, les hypothèses présentées et débattues, à ce moment-là, portaient sur des GHT allant de deux à treize établissements et couvrant un bassin de population allant de 140 000 à un million d’habitants. « Une telle variété s’explique non seulement par la diversité des territoires et de l’offre de soins installée, mais aussi par la compréhension très variable des attendus des GHT », analysent les deux rapporteurs. L’article 107 de la loi Touraine définit plus ou moins le contenu des GHT, mais un certain nombre de points sont encore en débat dans la concertation sur les textes d’application. Pour ce qui est d’ores et déjà établi, Marisol Touraine a rappelé que « la pierre angulaire des GHT, parce qu’il garantit l’adéquation de l’offre de soins aux besoins de la population, c’est le projet médical partagé ». Ce qui va se traduire par « une stratégie de groupe pour organiser la gradation des soins hospitaliers sur le territoire », a précisé la ministre tout en réfutant que ces réorganisations signifient qu’il « faut fermer des structures ou en faire grossir d’autres ». Il reste que la loi prévoit néanmoins que le GHT « assure la rationalisation des modes de gestion par une mise en commun de fonctions ou par des transferts d’activités entre établissements ». À noter que les établissements privés peuvent également être « partenaires » d’un GHT.


Une organisation segmentée


Plusieurs étapes sont prévues pour la constitution d’un GHT. Les établissements écrivent ensemble une convention constitutive comprenant un projet médical, les éventuels délégations et transferts d’activités prévus, l’organisation des activités et la répartition des emplois médicaux et pharmaceutiques ainsi que les modes d’organisation du groupement dont la composition du comité stratégique où sont représentés les soignants. Cette convention est ensuite soumise à l’Agence régionale de santé pour approbation. L’établissement « support », soit généralement le CHU quand le GHT en comprend un, doit assurer un certain nombre de missions dont la convergence des systèmes informatiques, la gestion du département d’information médicale (qui gère notamment toutes les données de facturation), la fonction achat, la coordination des instituts et écoles de formation paramédicale du groupement, les éventuels pôles inter-établissements et les deux seules activités médicales qui doivent obligatoirement être mises en commun : l’imagerie diagnostique et interventionnelle et la biologie. Le projet de décret qui est en cours de concertation précise encore un peu les choses, s’agissant des filières d’activités médicales. Le projet médical pourra décrire les principes d’organisation au niveau du GHT de la permanence et de la continuité des soins, des activités de consultations externes et notamment des consultations avancées, des activités d’ambulatoire, d’hospitalisation partielle et conventionnelle, des plateaux techniques, de la prise en charge des urgences et soins non programmés, de l’organisation de la réponse aux situations sanitaires exceptionnelles, de l’hospitalisation à domicile et des activités de prise en charge médico-sociale. À noter également que la certification des établissements de santé d’un même groupement sera désormais conjointe.


Des inquiétudes demeurent


En face de ces GHT vont se mettre en place des « comités territoriaux des élus locaux ». Mais ce mouvement inquiète les élus. L’Association des maires de France a écrit au Premier ministre pour demander que « la réorganisation autour d’un établissement support ne réduise pas l’activité des autres établissements ou soit systématiquement compensée par la mise en place des consultations avancées ». Les maires redoutent en effet que la création des GHT accélère la fermeture de services hospitaliers à trop faible activité, notamment des services d’urgences. Ces perspectives de réorganisation ont aussi fait naître des craintes chez les syndicats de médecins hospitaliers. Ainsi, l’intersyndicale Action praticiens hôpital, regroupant Avenir hospitalier et la CPH, souligne notamment que le « projet médical doit être construit par les équipes médicales et impliquer l’ensemble de la communauté médicale » et insiste sur le fait « qu’aucune remise en cause des droits statutaires des praticiens ne doit avoir lieu » et que les activités partagées sur plusieurs établissements du GHT ne se feront « que sur la base du volontariat des praticiens, incités par une prime d’exercice territoriale et une amélioration de la valorisation des lignes de gardes au sein du GHT ». Quant à l’lNPH (Intersyndicat national des praticiens hospitaliers), il s’est déclaré favorable sur le principe aux GHT mais pose néanmoins quelques conditions, en particulier sur la participation des médecins à leur gouvernance. L’INPH exige ainsi « la création d’une instance de pilotage du GHT la plus proche possible de ce qu’est le directoire d’un établissement hospitalier, présidé par le directeur général du GHT, co-présidé par le président de CME du GHT et à majorité médicale ». La prochaine parution des décrets permettra d’y voir plus clair.


« Un processus qui reste assez souple »


Entretien avec Christophe Jacquinet


ancien directeur de l’Agence régionale de santé (ARS) de Rhône-Alpes et président de Santéliance Conseil.


Tout Prévoir : Les enjeux des GHT sont-ils connus aujourd’hui des professionnels du monde de la santé ?


Christophe Jacquinet : Les directeurs d’hôpitaux sont évidemment bien informés ainsi que certaines catégories de médecins, comme les médecins des départements d’information médicale (DIM), mais aussi les chefs de services et les chefs de pôles. Les autres professionnels sont sans doute moins conscients pour l’instant des organisations qui vont se mettre en place.


T.P. : Qu’est-ce qui va changer avec les GHT ?


C.J. : C’est bien sûr d’abord leur caractère obligatoire. Nous sommes l’un des pays avec la plus grande densité d’hôpitaux au monde mais nous allons avoir encore de moins en moins de médecins jusqu’en 2025. Cela nous oblige à concentrer et organiser les ressources différemment. Il y avait plusieurs solutions : soit laisser les communautés hospitalières de territoires continuer à se construire, soit décider de fusions d’établissements. La loi a choisi un processus intermédiaire pour permettre un rapprochement juridique entre les établissements mais qui reste assez souple.


T.P. : Les établissements semblent avoir des marges de manœuvre assez importantes pour mettre en place les GHT. Est-ce une bonne chose ?


C.J. : Il n’y a effectivement pas dans la loi de référence à la taille que devrait avoir un GHT ou celle du territoire qu’il couvrira. L’idée a été de laisser de l’autonomie aux acteurs et aux ARS, d’autant que les situations régionales sont très diverses. Le rapport Martineau-Hubert suggère néanmoins que les établissements du GHT ne soient pas éloignés de plus de trois quarts d’heure de trajet. Cela me semble un repère intéressant dans la mesure où l’idée des GHT est de permettre aux professionnels des différents établissements, notamment qui ont des compétences médicales ou techniques très spécialisées, de travailler ensemble, voire parfois sur plusieurs sites.


T.P. : Les GHT doivent-ils avoir des « leaders » médicaux ?


C.J. : Ce qui va être très structurant, c’est d’abord la construction du projet médical du GHT. Mais il sera également très utile d’avoir des référents médecins, seuls ou en binôme, pour chaque filière de soins, sans pour autant qu’ils deviennent des sortes de chefs de pôle du GHT. Il est important qu’ils puissent faire le lien entre les médecins de spécialités des différents établissements et le comité stratégique du GHT.


T.P. : Les GHT vont-ils favoriser le développement de la télémédecine ?


C.J. : La loi cite deux activités pour le projet médical du GHT : l’imagerie et la biologie médicale. Cela va obliger les établissements à se parler davantage, à mettre en place des processus de transferts d’images et de gestion de processus à distance. Donc cela peut être effectivement une chance pour la télémédecine.


T.P. : Les GHT ne mettent-ils pas les établissements en concurrence entre eux ?


C.J. : Ce n’est pas forcément facile de faire travailler ensemble des établissements qui ont l’habitude de travailler de façon indépendante. Mais tout va dépendre des réalités locales, on ne peut pas faire de pronostic général. Là où il pourra y avoir de la concurrence, effectivement, c’est dans les recrutements de médecins, un sujet où les établissements sont déjà aujourd’hui en compétition. Certains établissements s’inquiètent aussi de perdre leur indépendance et des activités. Cependant, il faut savoir que chaque hôpital garde son budget propre, mais lorsque l’ARS examinera les budgets de chacun, elle le fera dans une vision globale du GHT. Autrement dit, si une activité est transférée d’un établissement vers un autre et que du coup il perd des ressources, l’impact budgétaire du transfert et le gain d’efficience attendu seront évalués au niveau du GHT dans son ensemble.


par Véronique Hunsinger

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