Comme à la fac - #9 L’épidémie va-t-elle s’arrêter avec le beau temps ?

Le retour de la belle saison et de ses températures plus élevées sous nos latitudes fait naître des espoirs de ralentissement naturel de la propagation du coronavirus. Quelques idées reçues et espoirs d'en finir constitueraient plutôt le socle de ces croyances.  COMME À LA FAC - Comprendre la crise coronavirus est animée par Maël Lemoine, enseignant en philosophie des sciences médicales à la faculté de médecine de Bordeaux et chercheur dans une unité CNRS d’immunologie, ImmunoConcept. Son but est de prendre du recul sur les événements Covid-19 en vous livrant un éclairage court et posé de niveau universitaire.

Ci-dessous une vidéo de trois minutes immédiatement suivie d'un article

Accéder à la playlist de tous les épisodes : Comme à la fac : comprendre la crise covid-19

Voir l'épisode #1 sur le scénario d'atténuation
Voir l'épisode #2 sur le scénario d'endiguement
Voir l'épisode #3 sur les traitements à l'étude
Voir l'épisode #4 sur le nombre de cas non-détectés
Voir l'épisode #5 sur les tests diagnostiques
Voir l'épisode #6 sur l'utilité des masques
Voir l'épisode #7 sur le nombre de morts
Voir l'épisode #8 sur les arguments contre le confinement


#9 L'épidémie va-t-elle s'arrêter avec le beau temps ?

Le Covid-19 est-il une épidémie saisonnière ? Va-t-elle disparaître avec le beau temps ? Cela est peu probable. En revanche, certains spécialistes évoquent la possibilité que cela ralentisse le virus.

Par Maël Lemoine

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Je n’ai pas lu de gens sérieux invoquer le retour du beau temps comme le facteur qui nous débarrassera du covid-19. Chez des dirigeants, par exemple, cela témoignerait d’une incapacité inquiétante à simplement se poser la question : « que se passera-t-il quand l’hiver viendra ? » En revanche, des spécialistes ont évoqué la possibilité que le retour du beau temps ralentisse l’épidémie. Sur quoi se fondent leurs arguments ?

Les maladies des voies aériennes supérieures sont moins fréquentes l’été. Il y a essentiellement deux explications. La première est liée à la chimie du virus, la deuxième, aux déterminants humains de sa propagation.

Les comportements humains changent avec les saisons. S’il fait beau, nous passons plus de temps à l’extérieur. Nous risquons ainsi beaucoup moins de nous contaminer par l’air ou de toucher les mêmes surfaces. Contrairement à une idée reçue, le rhinovirus, principal responsable du rhume commun, n’est pas plus fréquent en hiver, mais suit avec un peu de retard chaque rentrée des classes. Ce que suggère ce graphique, et de nombreuses études, c’est que le premier pic de rhume a lieu non pas en décembre, mais fin septembre en Europe.

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Au Japon, où la rentrée des classes a lieu au printemps, le pic épidémique des rhumes a lieu… au printemps.

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La chimie du virus

Si nous observons déjà les gestes barrière, notamment le port du masque dont je parle dans l’épisode 6, il y aura moins à gagner en passant à la saison d’été que ce n’est le cas pour certains virus. Si, du moins, ce sont les changements de comportement qui expliquent le mieux les pics épidémiques des maladies des voies aériennes.
L’autre explication liée à la chimie du virus est simple. Celui-ci consiste en un brin d’ARN protégé par une capside, c’est-à-dire une membrane faite de lipides. Si la membrane se dissout, l’ARN est détruit. Or les lipides résistent mal à la chaleur. Une chaleur suffisante pour les fragiliser ou en réduire la durée de vie est peut-être parfois atteinte par l’air ambiant ; mais c’est certainement le cas pour les surfaces exposées.

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Cependant, les observations sur le climat des villes où l’épidémie a été plus sévère n’éliminent pas, mais ne confirment pas non plus l’hypothèse d’un effet de la température sur la propagation du SARS CoV-2. Plusieurs études ont montré une association, mais elles n’ont montré ni à quoi elle est due, ni la taille de l’effet.

​Enfin, il ne faut pas croire à cette vision naïve selon laquelle le « système immunitaire » serait boosté par le beau temps (par exemple, au travers de la synthèse de vitamine D). D’abord, le système immunitaire n’est pas une force unique qui connaîtrait des degrés, mais un ensemble complexe de processus qui interagissent, souvent en se faisant contrepoids. Ensuite, si ce virus est si contagieux, c’est en partie parce que nos systèmes immunitaires ne le connaissent pas. En revanche, il est plausible, mais pas démontré, que l’air sec réduise l’efficacité de la barrière que le mucus oppose à la pénétration du virus.

Les varations saisonnières ont-elles un impact sur le Covid-19 ?


En bref, l’espoir que l’épidémie s’arrête avec le beau temps est encore un exemple de la naïveté à laquelle la volonté d’espérer nous conduit trop souvent. Les maladies des voies aériennes supérieures ne s’arrêtent pas pendant la belle saison, mais leur fréquence diminue. Il est possible, mais il n’est pas certain que cela arrive avec le coronavirus. Et si cela arrive finalement, ce sera plus probablement quand le virus sera déjà devenu endémique, dans quelques années. En attendant, une simulation parue dans Science le 14 avril dernier intègre une hypothèse de variations saisonnières : les pics surgiraient au début du printemps et au début de l’automne dans l’ensemble des pays à climat tempéré. Cela serait le cas au moins jusqu’en 2022. Une raison supplémentaire de ne pas espérer revenir à la normale pour les vacances d’été.

La prochaine vidéo sera consacrée aux facteurs de risque de gravité de l’infection au SARS CoV-2.

par Maël Lemoine