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[Transhumanisme - Portrait #3] Cynthia Kenyon : Une figure respectable de la lutte contre la vieillesse

Calico, la société fondée en 2013 par Google dans le but de lutter contre le vieillissement et les maladies liées à l’âge, a embauché la célèbre biologiste moléculaire Cynthia Kenyon en 2014. Le but : doubler l’espérance de vie humaine (pour commencer).

Par Maël Lemoine

MaelLemoine

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Cynthia Kenyon est bien née en 1954. Elle n’a pas tout à fait 40 ans quand elle découvre, à la tête de son équipe, le gène DAF-2. Celui-ci régule le rythme auquel le petit vers C. Elegans vieillit. Son équipe montre qu’une mutation de ce gène double sa durée de vie. L’écho est immédiat : on vient de montrer que le vieillissement est sous contrôle génétique. Comme le dit le site de Calico : « le vieillissement n’arrive pas par hasard ». L’idée est ambiguë. Kenyon n’a pas montré qu’il existerait des gènes sélectionnés au cours de l’évolution pour produire des dégradations progressives de l’organisme conduisant inéluctablement à la mort. Au contraire : si de tels gènes existent, ils n’ont tout simplement pas été sélectionnés par l’évolution. Elle n’a pas montré non plus que les dégâts progressifs subis par un organisme sont programmés. Elle a montré que leur accumulation peut être ralentie ou accélérée en fonction de certains gènes. En réalité, ces gènes sont liés aux voies du métabolisme. Les moduler conduit probablement à induire une sorte d’état intermédiaire entre la vie alerte et l’hibernation – une sorte de ralentissement. Ou bien, ces gènes sont liés aux voies de la réparation des dégâts de l’organisme. Un système de réparation plus efficace allongerait en effet probablement l’espérance de vie. DAF-2 relève sans doute de la première catégorie. Comme beaucoup de « gènes du vieillissement » découverts depuis 1993.

Une femme de science

Même sous les strasses et paillettes soulevées par la médiation de son travail, les publications de Cynthia Kenyon restent celles d’une grande scientifique. Avec Leny Guarente, David Sinclair et quelques autres, elle est à l’origine d’un virage fondamental dans la recherche sur le vieillissement. Alors que celle-ci tendait à faire du surplace autour des mécanismes du « stress oxydatif » sans parvenir depuis les années 1950 à montrer vraiment de manière convaincante la corrélation entre ce mécanisme et le vieillissement, ces quelques chercheurs s’engagent dans une voie nouvelle à laquelle personne ne croit.

L’apparence de leurs découvertes : le vieillissement serait « génétique ». Le fond de leurs découvertes : une voie fondamentale du métabolisme, liée à l’insuline et à une certaine hormone de croissance, est associée au rythme du vieillissement. Cette voie existe (sous des formes différentes) chez la levure et chez l’homme, en passant par le ver, la drosophile et la souris.

Cynthia Kenyon publie activement sur le sujet, découvertes originales dans la lignée de sa première « grande » découverte, et surtout revues et articles de perspective. C’est une star de la science. Précisément ce qui a dû attirer Google, en quête de respectabilité pour un projet fou : lutter contre le vieillissement.

Et une adepte des interventions radicales

Mais Cynthia Kenyon fait aussi partie de ces biologistes fondamentaux qui extrapolent bien vite du ver à l’humain. Imaginez, raconte-t-elle, que vous êtes un jeune homme d’une trentaine d’années et que vous sortez avec une femme qui vous plaît bien. Au restaurant, vous lui demandez son âge et elle vous répond : j’ai soixante ans. Vous lui en auriez donné la moitié. Voilà à quoi ressemble un doublement de l’espérance de vie de C. Elegans.

Incontestable argument. Mais fallacieux aussi : s’il y a loin du ver à l’homme, c’est surtout parce que justement pour pouvoir vivre plus longtemps, des organismes plus massifs et plus complexes ont justement dû moduler d’abord certains mécanismes qui conduisaient à une sénescence rapide – ceux qui, précisément, limitent la vie du nématode. On peut donc s’attendre à ce qu’une intervention qui double la vie d’un animal qui vit normalement deux à trois semaines, augmente bien moins spectaculairement celle d’un animal qui peut vivre naturellement deux mille fois plus longtemps.

En attendant, Cynthia Kenyon promeut la restriction calorique. Une intervention qui a certes fait ses preuves sur C. elegans et sur la souris, mais dont les résultats sont moins nets sur les primates non-humains ou sur les humains. Trop manger abrège effectivement très probablement la vie humaine – mais il n’en découle pas que manger trop peu, jeûner ou d’autres interventions du même genre l’allongerait. Suivant la même intuition, elle soutient et promeut le développement d’un certain nombre de traitements qui visent à moduler cette voie métabolique. Et évite tout ce qui contient beaucoup de glucides – à l’exception du chocolat noir.

À quoi sert de vivre longtemps dans un monde sans plaisir ?

Kenyon à Calico

À sa création en 2013, Kenyon conseille Calico, la société créée par Google pour lutter contre le vieillissement et les maladies liées à l’âge. Elle en devient vice-présidente chargée de la recherche anti-vieillissement un an plus tard. Personne n’est bien certain de ce que fait Calico, dont les partenariats avec de grandes institutions de la recherche – comme récemment avec le Broad Institute à Boston – restent souvent secrets.

Ce qui est sûr, c’est que l’essentiel des activités n’est pas consacré aux publications dans les journaux scientifiques. La société, dont la base donne sur la baie de San Francisco, publie juste ce qu’il faut pour garder de la respectabilité dans le monde scientifique – mais bien trop peu manifestement au vu du nombre de chercheurs seniors qu’elle embauche.

Ce qui est sûr aussi, c’est que la société a oublié de négliger sa communication. Pas aussi secrète que Google X. Cependant, les annonces de la société ne sont pas fréquentes : 23 communiqués depuis sa création en 2013. Beaucoup d’annonces de partenariats et de prix, mais pas de grandes percées. C’est le grand public que Google fait rêver d’immortalité – quant aux grands scientifiques, ils rêvent plutôt des salaires et des moyens qu’ils auraient s’ils travaillaient pour Google. Pour certains, bien plus que ce que l’on peut dépenser en une vie ordinaire.

D’où l’intérêt de la prolonger ?

par Maël Lemoine