
#03 La 1ère année de médecine : dans l’amphithéâtre
Heureuse d’avoir survécu au concours d’entrée en médecine, j’attendais avec impatience la rentrée universitaire. Finis le bachotage et les cours indigestes. J’allais enfin apprendre mon métier, guidée par des maîtres à penser bienveillants qui me prendraient sous leur aile… Enfin, c’est ce que je me figurais…
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Mais la première heure passée avec le Pr Adjudant donna rapidement le ton.
- Bonjour à tous ! Vous avez réussi le concours, je vous en félicite.
Et poursuivant son laïus :
- Mais si vous pensez pouvoir vous reposer sur vos acquis, mieux vaut arrêter tout de suite. Sachez que le travail à fournir en première année n’est rien comparé à ce qui vous attend. Vous allez devoir approfondir vos connaissances, faire de nombreuses gardes. Vos amis entreront peu à peu dans la vie professionnelle et vous, vous n’aurez ni les moyens ni le temps de partir en weekend avec eux. Vous les perdrez un à un. Vous venez de prendre au minimum pour 9 ans d’études, soyez-en conscients !
Reprenant de plus belle, nous laissant à peine reprendre notre souffle :
- Vous êtes un peu moins d’une centaine dans la promo. Sachez également que parmi vous, 10 ne termineront pas leurs études !
Une étudiante téméraire osa l’interrompre :
- Monsieur, comment ça ? Qu’est-ce qu’ils deviendront, ces étudiants ?
- Certains mourront.
Le silence se fit dans l’amphithéâtre. Nous nous regardions les uns les autres, en nous demandant si la vie aurait le culot, après tant d’efforts, de nous réserver un tel sort.
Et d’ajouter, impassible :
- … d’autres échoueront et changeront complètement de voie. Enfin, quelques-uns se réorienteront vers des professions paramédicales comme les études d’infirmier ou opteront pour la faculté de biologie.
En concluant ainsi, sans la moindre émotion exprimée :
- Voilà, voilà. Cela étant dit, nous allons commencer le module de biochimie.
Ainsi, se succédèrent les premières années d’études médicales, pour le meilleur comme pour le pire. Aux yeux du monde, nous étions des étudiants si chanceux d’avoir réussi le concours que nous n’aurions plus jamais à nous plaindre de rien. À nos yeux, nous étions des galériens asservis au malheur du monde, naviguant à vue et tentant garder le cap malgré une mer agitée et de grands moments de solitude. Nous apprenions la Vie.
Sommaire
Billet #01 - Les quatre naissances d’Honorine Cosa
Billet #02 - La 1ère année de médecine : l’anatomie
Billet #03 - La 1ère année de médecine : dans l’amphithéâtre
Billet #05 - Mon premier patient
Billet #06 - La déformation professionnelle
Billet #07 - L’externat ou mon premier stage hospitalier
Billet #08 - Séjour prématuré en maison de retraite
Billet #09 - L’externat ou la vie nocturne
Billet #10 - La Suède ou une société idéale
Billet #11 - Convalescence sur les flots
Billet #13 - Étudier la médecine en Suède
Billet #14 - À la recherche du système d’enseignement idéal
Billet #15 - La pharmacienne et les mots magiques
Billet #16 - La peur et ses remèdes
Billet #17 - Vrai faux départ pour l’Argentine
Billet #18 - L’Argentine ou la rencontre entre l’art et la médecine
Billet #19 - Mon quotidien à Buenos Aires
Billet #22 - Crise nationale, fin de la parenthèse
- par Honorine Cosa