
#23 : Fin du voyage, début d'un autre dans les méandres de l'hôpital
Un voyage, c’est un départ mais surtout, un retour. On part les mains dans les poches, le cœur léger et la tête dans les nuages. Et on revient chargé comme une mule, le cœur rempli d’émotions, la tête saturée de souvenirs. Au retour, tout a bougé. Le passé se mélange au présent, les rêves aux souvenirs et il faut souvent du temps pour retrouver un équilibre…
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C’est comme ça qu’à mon retour d’Argentine, j’ai passé le premier mois à dormir. De 21 h jusqu’à ce que mon copain rentre du boulot à 6 heures du matin. Puis de 6 h à midi pour un second round de sommeil avec lui. Carence en sommeil ou mini dépression du post-partum (j’avais accouché d’un second moi en Argentine), c’était sans doute un mélange des deux.
Au bout de quelques semaines, il a fallu sortir de cette couette. Alors j’ai cherché un petit boulot en maison de retraite, un toit à moi, je me suis réinscrite à la fac de médecine et j’ai terminé la BD relatant mon voyage, en attendant la rentrée scolaire.
Sur le plan professionnel, j’avais mûri. Je savais ce que je ne voulais pas : subir une hiérarchie hospitalière machiste ; m’hyper-spécialiser; rester coincée ad vitam aeternam dans la même ville.
En reprenant contact avec mes collègues de promo, j’apprenais que Karine, avec qui j’avais songé à m’installer en médecine générale, était en réanimation. Pendant qu’elle préparait le concours de l’internat, on lui avait diagnostiqué un cancer de la langue et elle avait refusé l’intervention.
Interdite derrière la porte de sa chambre d’hôpital, je n’osais pas entrer. Je savais que je ne la reverrais plus jamais. Mais je savais aussi qu’elle n’aurait pas aimé que je la voie dans cet état.
Plus que jamais, cet événement me confortait dans l’idée qu’il fallait croquer la vie à pleines dents. Je me remémorais ce jour étrange où un prof nous avait dit : « Sachez que 10 % d’entre vous ne termineront pas leurs études. » Quand Karine en avait demandé la raison, il lui avait répondu : « Certains craqueront avant la fin, d’autres mourront. » Sa réponse nous avait séchés.
Quelques semaines plus tard, nous allions avec mon acolyte Rodrigue faire un tour de moto pour lui rendre un dernier hommage, dans cette montagne qu’elle aimait tant.
Pour moi, les choses étaient désormais claires, je ferais de la médecine générale. Je voulais prendre le temps de vivre, je voulais garder des compétences générales utiles à mon quotidien, voyager à travers mon boulot et plus que tout, rester libre.
Sommaire
Billet #01 - Les quatre naissances d’Honorine Cosa
Billet #02 - La 1ère année de médecine : l’anatomie
Billet #03 - La 1ère année de médecine : dans l’amphithéâtre
Billet #05 - Mon premier patient
Billet #06 - La déformation professionnelle
Billet #07 - L’externat ou mon premier stage hospitalier
Billet #08 - Séjour prématuré en maison de retraite
Billet #09 - L’externat ou la vie nocturne
Billet #10 - La Suède ou une société idéale
Billet #11 - Convalescence sur les flots
Billet #13 - Étudier la médecine en Suède
Billet #14 - À la recherche du système d’enseignement idéal
Billet #15 - La pharmacienne et les mots magiques
Billet #16 - La peur et ses remèdes
Billet #17 - Vrai faux départ pour l’Argentine
Billet #18 - L’Argentine ou la rencontre entre l’art et la médecine
Billet #19 - Mon quotidien à Buenos Aires
Billet #22 - Crise nationale, fin de la parenthèse
Billet #23 - Fin du voyage, début d'un autre dans les méandres de l'hôpital
- par Dr Honorine Cosa